La victime d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union commise par une société mère peut demander à la filiale de cette dernière la réparation des dommages qui en découlent : la Cour en précise les conditions.Entre 1997 et 1999, la société MBTE, filiale du groupe Daimler et dont la société mère est Daimler AG, a vendu deux camions à une société tierce. En 2016, la Commission européenne a constaté une violation, par la société mère, du droit de la concurrence de l'Union européenne (UE) interdisant les ententes. En effet, par une décision du 19 juillet 2016 (décision C(2016) 4673), la Commission a constaté des arrangements conclus entre 1997 et 2011 avec 14 autres fabricants européens portant sur la fixation de prix ainsi que sur une augmentation des prix bruts des camions dans l'espace européen, constitutive d'une pratique anticoncurrentielle.
En l'espèce, la société tierce qui avait acheté les camions a assigné la société MBTE en dommages et intérêts devant les tribunaux espagnols, s'estimant lésée par cette entente. Le tribunal de commerce de Barcelone l'a déboutée au motif que la société MBTE n'était pas la société visée par la décision du 19 juillet 2016. La société tierce a interjeté appel et la cour provinciale de Barcelone a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Les juges de la CJUE ont donc eu à répondre à la question de savoir "si et, le cas échéant, dans quelles conditions une action en dommages et intérêts peut être dirigée contre une filiale à la suite d’une décision de la Commission constatant des pratiques anticoncurrentielles de sa société mère".
La Grande chambre de la CJUE s'est prononcée le 6 octobre 2021 (affaire C-882/19). Si elle relève que la jurisprudence constante laisse à toute personne le droit de demander aux "entreprises" ayant participé à une entente ou à des pratiques interdites au titre de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) la réparation du préjudice causé par ces pratiques anticoncurrentielles, elle a d'abord cherché à savoir ce qu'il fallait entendre par "entreprise", au sens de l'article 101 du TFUE.
D'après la Cour, lorsque les actions en dommages et intérêts font partie intégrante du système de mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union, la notion autonome d'"entreprises" doit être entendue au sens de l'article 101 du TFUE, peu important que l'action soit entreprise devant les juridictions internes. Selon les juges luxembourgeois, l'"entreprise" est entendue comme "toute entité exerçant une activité économique […] et désigne ainsi une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette dernière est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales".
En cela, si l'entreprise appartient à l'unité économique désignée par la Commission comme ayant violé l'article 101 du TFUE alors "la notion d’'entreprise" et, à travers elle, celle d’"unité économique" entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction".
En l'espèce, elle conclue que la société victime peut engager la responsabilité de la société filiale à condition que cette dernière prouve que les deux sociétés constituaient une unité économique au moment de l’infraction. En l'espèce, la société plaignante doit établir, en principe, que l’accord anticoncurrentiel conclu par Daimler AG concerne les mêmes produits que ceux commercialisés par MBTE.
Si la Cour laisse la possibilité à la société filiale de contester son appartenance à la même entreprise que sa société mère, elle ne lui laisse pas la possibilité de contester l'infraction qui lui est reprochée lorsque la Commission a déjà statué sur la violation, en vertu de l'article 16§1 du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002. Or, dans ce cas, le juge national n'est pas tenu par la sanction prononcée par la Commission à l'égard de la société mère pour sanctionner la société filiale.