Est recevable à agir en responsabilité contre le dirigeant de la société débitrice ou son expert-comptable un actionnaire ou un investisseur qui, recherchant la réparation du préjudice ayant résulté pour lui de la perte de ses apports, concours ou investissements réalisés sur la foi de la présentation de comptes annuels infidèles de cette société, invoque un préjudice personnel, distinct du préjudice collectif des créanciers, et étranger à la reconstitution du gage commun de ces derniers.A la suite de la mise en liquidation judiciaire d'une société, un créancier, qui avait effectué plusieurs investissements dans l'entreprise avant sa liquidation (prêt personnel, acquisition de la majorité des parts sociales, apport en compte courant d’associé, avance de trésorerie et cautionnement du remboursement d’un prêt contracté par l'entreprise), a assigné la société débitrice et son expert-comptable en réparation des préjudices qu'il prétendait avoir subi par leur faute. Il leur reprochait une dissimulation frauduleuse de la situation réelle de la société, à l'origine de la réalisation en pure perte des investissements réalisés sur la base d'informations et de documents comptables qui se seraient révélés faux.
La cour d'appel de Paris n'a pas accédé à sa demande.Les juges du fond ont retenu que c'était l'état de cessation des paiements de la société qui faisait que le demandeur et sa société étaient, à la date de l'assignation, titulaires de ces créances demeurées impayées. Indépendamment du fondement juridique spécifique de leur action - des fautes reprochées aux dirigeants et à l'expert-comptable - ils tendaient en réalité uniquement à obtenir la seule réparation du préjudice pécuniaire résultant des investissements perdus ou des titres devenus sans valeur. Selon les juges, ils se trouvaient, à cet égard, dans une situation identique à tout créancier qui a apporté son concours à la débitrice sur la base de comptes certifiés et publiés et recevoir leur action aurait pour effet de rompre l'égalité entre les créanciers de la société et de leur permettre, pour autant que l'actif de l'entreprise puisse être réalisé pour partie, de percevoir un double paiement.
Cette analyse est invalidée par la Cour de cassation au visa des articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce par un arrêt du 2 février 2022 (pourvoi n° 20-17.151) : le créancier invoquait le préjudice personnel que lui aurait causé l'insincérité des comptes fournis les dirigeants et établis par l'expert-comptable, sur la foi desquels il avait investi, et non le préjudice causé par la défaillance de la société débitrice qui ne serait qu'une fraction du préjudice collectif des créanciers relevant du monopole du liquidateur.