Responsabilité sans faute de l’Etat engagée pour le maintien d’une mesure de suspension à l’égard d’un chirurgien ayant pour effet d'entraîner un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement, résultant de la diminution de ses compétences. Un chirurgien des hôpitaux a été suspendu de ses fonctions par une décision ministérielle et a été mis en examen pour homicide involontaire, blessures involontaires et non-assistance à personne en danger et la mesure de suspension a été prolongée pour la durée de la procédure pénale.Relaxé en appel de tous les chefs de poursuite, le praticien a été réintégré dans ses fonctions et placé en position de recherche d'affectation pour une durée de deux ans avant d’être réintégré en surnombre dans un nouveau centre hospitalier.Le praticien et sa famille ont recherché la responsabilité de l'Etat au titre des préjudices subis du fait de la suspension de l’intéressé, maintenue à titre conservatoire pendant huit ans, et de l'absence prolongée d'affectation de l'intéressé sur un emploi correspondant à son grade. La cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé contre le jugement de première instance écartant toute faute de l’Etat au titre de la mesure de suspension. Dans une décision du 8 juin 2017, le Conseil d’Etat relève tout d’abord que la mesure de suspension, maintenue par l’administration pendant toute la durée de la procédure pénale sans donner suite à la procédure disciplinaire qu'elle avait engagée, était légale au regard de la gravité des faits fondant les poursuites.Toutefois, le Conseil rappelle que la responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement. En l’espèce, le maintien de la mesure pendant une durée de huit ans, alors que l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer sa profession, a entraîné, du fait de l'arrêt de la pratique opératoire, une diminution difficilement remédiable de ses compétences chirurgicales, compromettant ainsi la possibilité pour lui de reprendre un exercice professionnel en qualité de chirurgien. Le Conseil d’Etat estime que ce préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial, ne peut être regardé, alors que l’intéressé a été relaxé des poursuites pénales qui avaient motivé la suspension et n'a pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire, comme une charge qui lui incombait normalement. La Haute juridiction administrative annule donc l’arrêt d’appel qui aurait dû relever d'office la responsabilité sans faute de l'Etat et accueillir les conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat au titre du maintien pendant huit ans de la mesure de suspension. - Conseil d’Etat, 5ème - 4ème chambres réunies, 8 juin 2017 (requête n° 390424 - ECLI:FR:CECHR:2017:390424.20170608) - https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000034893133&fastReqId=253757268&fastPos=1