Lors d'un litige concernant une entente entre constructeurs de camions, le Tribunal apporte des clarifications concernant, d’une part, la légalité d’une procédure "hybride" associant la procédure de transaction et la procédure administrative ordinaire en matière d’ententes et, d’autre part, la notion d’"infraction unique et continue".Lors d'une enquête relative à une entente entre constructeurs de camions, les entreprises concernées ont confirmé à la Commission leur volonté de prendre part à des discussions en vue d’une transaction. L'entreprises S. a décidé de se retirer de cette procédure. La Commission a ainsi adopté une décision de transaction à l’égard des entreprises ayant présenté une demande formelle en ce sens et a poursuivi l’enquête visant l'entreprise S.
Dans un arrêt du 2 février 2022 (affaire T‑799/17), le Tribunal de l'Union européenne rejette le recours introduit par l'entreprise S. tendant à l’annulation de la décision de la Commission, en apportant des clarifications en ce qui concerne la légalité d’une procédure "hybride" en matière d’ententes et la notion d’"infraction unique et continue".
En ce qui concerne la légalité de la procédure hybride suivie par la Commission
Il rappelle que la Commission est en droit d’adopter, dans un premier temps, une décision de transaction et, dans un second temps, une décision à la suite de la procédure ordinaire, à condition de veiller au respect du principe de la présomption d’innocence, des droits de la défense ou du devoir d’impartialité.
S’agissant du grief tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, le Tribunal précise que la reconnaissance par les destinataires d’une décision de transaction de leur responsabilité ne saurait conduire à la reconnaissance implicite de la responsabilité de l’entreprise ayant décidé de se retirer de ladite procédure, en raison de son éventuelle participation aux mêmes faits considérés comme infractionnels dans la décision detransaction.En effet, dans le cadre de la procédure administrative ordinaire qui fait suite àl’adoption d’une telle décision, l’entreprise concernée et la Commission se trouvent, par rapport à la procédure de transaction, dans une situation dite "tabula rasa", où les responsabilités doivent encore être établies.Ainsi, la Commission est tenue, d’une part, uniquement par la communication des griefs et, d’autre part, elle est obligée de réexaminer le dossier au regard de toutes les circonstances pertinentes, y compris toutes les informations et tous les arguments qui sont mis en avant par l’entreprise intéressée à l’occasion de l’exercice de son droit d’être entendue. Par conséquent, une qualification juridique des faits retenue par la Commission à l’égard des parties à la transaction ne présuppose pas en soi que la même qualification juridique des faits ait été nécessairement retenue par la Commission à l’égard de l’entreprise qui s’est retirée d’une telle procédure. Dans ce cadre, rien n’empêche la Commission de s’appuyer sur des éléments de preuve communs dans les deux décisions de la procédure hybride.
S’agissant du grief tiré de la violation des droits de la défense, le Tribunal a relevé que, dans la décision de transaction, la Commission n’avait en rien préjugé de la responsabilité de l'entreprise S. dans l’infraction. En conséquence, aucune violation de ses droits de la défense ne pouvait découler du fait qu’elle n’ait pas été entendue dans le cadre de cette procédure.
S’agissant du grief tiré de la violation du principe d’impartialité, le Tribunal a constaté que l'entreprise S. n’a pas établi que la Commission n’avait pas offert, au cours de la procédure d’enquête, toutes les garanties pour exclure tout doute légitime en ce qui concernait son impartialité dans l’examen de l’affaire. En effet, lorsque la Commission examine, dans le cadre de la procédure ordinaire, les éléments de preuve présentés par les parties ayant fait le choix de ne pas transiger, elle n’est aucunement liée par les constatations factuelles et les qualifications juridiques qu’elle a retenues dans la décision de transaction. En outre, en considérant que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves et que la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant à l’opportunité d’adopter des mesures d’enquête, son refus d’adopter des nouvelles mesures d’enquête ne s’avère pas contraire au principe d’impartialité, faute de démonstration que l’absence de telles mesures est due à la partialité de la Commission.
En ce qui concerne la notion d’infraction unique et continue
S’agissant de la constatation de l’existence d’une infraction unique et continue, le Tribunal rappelle qu'une telle constatation ne présuppose pas nécessairement l’établissement de plusieurs infractions, chacune relevant de l’article 101 TFUE, mais la démonstration que les différents agissements identifiés s’inscrivent dans un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique.
S’agissant de l’imputabilité de l’infraction, le Tribunal relève que, de manière analogue, lesfacteurs déterminant l’imputabilité de l’infraction unique et continue doivent être appréciéségalement au niveau de l’entreprise. En l’espèce, dans la mesure où l’entreprise S. a participé directement à l’ensemble des aspects pertinents de l’entente, la Commission était en droit de lui imputer l’infraction dans son ensemble, sans qu’elle soit obligée de démontrer la satisfaction des critères de l’intérêt, de la connaissance et de l’acceptation du risque.